880ème anniversaire du départ des bénédictines
La vie à Saint-Maur de Bleurville au temps des abbesses
Il y a 880 ans, en juin 1128, l’évêque de Toul, Henri de Lorraine, met un terme à quelques quatre-vingt années de présence bénédictine à Bleurville. Face à la rapacité de ce qui aurait dû être des protecteurs et la négligence des religieuses, les biens du monastère ont été pillés, laissant dans la misère les quelques nonnes qui y priaient encore.
L’évêque de Toul profite de cet état de fait pour transformer l’abbaye en prieuré et le rattacher à l’abbaye touloise de Saint-Mansuy. Une nouvelle vie monastique animée désormais par des hommes commence. Elle ne s’achèvera qu’avec la Révolution. Non sans connaître de nombreux soubresauts entre-temps.
Les lignes qui suivent sont attribuées à la dernière abbesse de Bleurville, Herrarde, issue de la famille des descendants du fondateur, Raynard, comte de Toul, de Fontenoy-le-Château et de Bleurville. En fait, il s’agit d’une pure fiction, les archives du monastère ne conservent - malheureusement - aucun document de cette époque permettant de retracer précisément l’histoire des débuts de cette fondation religieuse du XIème siècle. Faits historiques avérés et anecdotes romancées formeront donc la trame de ce récit.
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« A l’automne de l’an de grâce de Notre Seigneur onze cent vingt huit, j’ai entrepris de rédiger cette courte histoire de notre monastère des saints Bathaire et Attalein afin de témoigner de notre vie spirituelle et humaine sur les terres de nos ancêtres d’heureuse mémoire, fondateurs et bienfaiteurs de notre abbaye.
Aux alentours de 1030, Raynard, comte de Toul, possesseurs des terres de Fontenoy et de Blidericivilla, fait bâtir une basilique à proximité de l’ancienne villa antique dont subsistait une partie des bains publics alors utilisés comme lavoir par les indigènes. Les premiers comtes de Toul apparaissent sous Gérard, évêque de Toul. Issu de la famille des sires de Fontenoy en Vosges, le comté de Toul passa au dernier titulaire de ce nom, Raynard. En 1034, une petite communauté placée sous la règle de notre Père saint Benoît s’installe à demeure dans des bâtiments modestes mais accueillants, dont les jardins et le verger s’étendaient jusqu’au ruisseau du Gras, et entourés de quelques masures dans lesquels vivaient nos paysans et domestiques. Notre première abbesse, Leucarde, soeur de Raynard, organisera la communauté de huit vierges qui seront chargées de prier sur les reliques de nos saints patrons, Bertarius et Atalenus, qu’un prêtre de la famille de Raynard, Merannus, avait ramené vers 960 de Faverney, proche de l’abbaye de Luxeuil. On voit encore sur la voie romaine menant à Darney, à la sortie de Blidericivilla, l’ancien oratoire qui recueillit les précieux restes. Le pèlerinage des saints Bertarius et Atalenus fut suivi avec ferveur jusqu’à nos jours par les chrétiens du lieu et des communautés circonvoisines. Sous l’abbatiat de Leucarde, la communauté eut l’immense et insigne joie d’accueillir notre saint Père le Pape Sa Sainteté Léon le Neuvième. Lors de sa tournée de visite dans son ancien diocèse de Toul, il vint pontificalement célébrer le 6 décembre 1050, en la fête de saint Nicolas, la dédicace de notre abbatiale. Ce fut un long cortège de chariots tirés par des chevaux et des boeufs venant de Saint-Vincent de Metz qui amenèrent à Blidericivilla quantité de nobles et de clercs de la suite pontificale. L’abbatiale était toute remplie de moines des maisons voisines, de curés de paroisses et de paysans qui n’en croyaient pas leurs yeux de voir de si près l’évêque de Rome et vicaire du Christ sur terre, leur ancien pasteur. Une longue procession, présidée par le doyen de chrétienté et le vicaire de la paroisse Saint-Pierre, alla chercher religieusement les saintes reliques de Bertarius et Atalenus à la chapelle de la Corvée de Marinvelle puis s’en retourna vers le monastère par le gué du ruisseau grossi des premières neiges des jours passés. Lors de la cérémonie qui dura près de trois heures, notre Pape Léon marqua de l’huile sainte les piliers de la nef et déclara placer l’église sous la protection de saint Maur, disciple de notre Père Benoît. Il scella sa déclaration dans une bulle pontificale qu’il remit à notre mère Leucarde en présence des descendants du fondateur du monastère : il leur confiait la vouerie de l’abbaye et frappera d’anathème quiconque osera violer ses prescriptions et attenter aux droits des religieuses. Malgré la froidure qui régnait déjà depuis quelques jours, la foule accompagna notre Saint Père et sa suite dans des agapes fraternelles offertes par les bénédictines. Le lendemain, notre Pape Léon célébra encore le Saint Sacrifice à la mémoire de nos saints patrons puis quitta Blidericivilla pour gagner l’Alsace où il devait rejoindre le couvent de Sainte-Odile.
Notre mère supérieure, première abbesse de Saint-Maur, devait décéder en novembre 1072. Sa succession occasionna un grand remue-ménage dans la famille du comte de Toul. L’abbesse de Remiremont proposa sa médiation ; ce que refusa Raynard II, protecteur de notre maison. Courant mars 1073, un messager de Toul vint nous informer que Raynard choisissait soeur Liutgarde comme nouvelle abbesse de Blidericivilla. Grand fut notre soulagement. Notre soeur Liutgarde, cousine de feue Leucarde, était jusque-là trésorière de notre communauté : elle avait haute main sur la gestion temporelle du monastère, percevant par l’intermédiaire de nos hommes de confiance, les taxes et redevances des alleux de Dombasle lès Darney, Removille, Saulxures, Panteville, Lichecourt et Unzecourt. Elle traitait aussi avec le mayeur de la mairie Saint-Bathaire, Collin le Gros puis plus tard Villaume le Bon, et avec le gardien de la grange aux dîmes, notre serf Durand le Nief, pour le ban des récoltes et la perception des dîmes. Elle devait parfois aussi faire preuve d’une ferme diplomatie auprès de nos curés qui réclamaient une révision de leurs portions congrues...
Notre mère abbesse Liutgarde fut consacrée par un chanoine délégué par Monseigneur de Toul, Udon, en présence des prieurs de Deuilly et de Relanges. Dès les débuts de son abbatiat, notre mère Liutgarde dut faire face aux assauts des sbires de nos avoués, qui depuis leur château de Fontenoy, venaient nous rançonner sous prétexte de mieux nous protéger ! Nos plaintes auprès de Monseigneur de Toul mirent un terme - temporairement - à ces pratiques attentatoires aux prescriptions de notre Saint Père le Pape Léon. Par sentence synodale, Udon retira la vouerie au comte Raynard II. Désormais, seul l’évêque de Toul serait le protecteur de notre abbaye. Nous connûmes un court répit durant lequel notre nouvelle cellérière, Maure, soeur de mère abbesse, veilla avec soin à la vie séculière de notre monastère. En cela, elle était secondée par trois domestiques du village et de Sibille, soeur converse, chargées de l’entretien du potager et du verger qui fournissait légumes et fruits pour la nourriture d’une communauté de sept soeurs mais aussi du ménage dans l’abbatiale et les dépendances du monastère. Une des domestiques, Mathiette du Creux Chalot, s’occupait tout particulièrement des lessives et de l’entretien des linges sacrés. Que de fois elle est allée à la fontaine du bout de la l’eau aux Curtilles ! Le moulin Saint-Maur, situé à deux pas de notre clôture, fournissait le froment nécessaire à la confection des pains ; ceux-ci étaient cuits au four banal de la Varenne avec ceux des villageois. Mais aussi à la nourriture de nos cochons que nos domestiques soignaient avec grand affection. Nous avions aussi un vigneron qui mettait en valeur notre petite vigne sise au canton du Bon Vin qui donnait un vin aigrelet mais apprécié des soeurs !
L’abbatiat de mère Liutgarde fut propice à quelques travaux d’agencement du monastère : une deuxième cloche fut logée dans la tour massive, maître Jean le Rollin, notre tailleur de pierre, acheva la décoration du portail de l’abbatiale et sculpta une image de Jean le Baptiste pour l’autel de l’abside sud, une petite châsse en argent fut acquise auprès d’un orfèvre de Metz afin d’y loger dignement les reliques de nos saints patrons exposées à la dévotion des fidèles. Un colombier fut également construit à côté des engrangements et des réparations furent effectuées sur la grange aux dîmes qui avait été disloquée à la suite d’une violente tempête.
Au spirituel, la règle de notre Père Benoît réglait nos journées : au son de la cloche, la prière commune s’organisait autour des première, troisième, sixième et neuvième heures. Nous quittions notre lit en pleine nuit, après avoir prié brièvement et récité un psaume, nous nous rendions au choeur chanter les sept psaumes de la pénitence. Une lecture méditée était journellement proposée par mère abbesse. C’est notre vicaire de la paroisse Saint-Pierre de Blidericivilla qui célébrait chaque matin la sainte messe. L’abbé Didier de Mandres s’acquittera de son devoir pastoral durant de longues années avant d’être remplacé, sous mon abbatiat, par l’abbé Guillaume de Vicherey. Tous les premiers vendredis, nos vicaires célébraient un office des morts à la mémoire des fondateurs et de nos soeurs trépassés selon notre nécrologe. Nos vicaires vivaient chichement dans une pauvre demeure bâtie tout à côté de la petite église paroissiale dans laquelle mère abbesse avait une place réservée au choeur (mais que nous avons rarement occupée !) : ils devaient s’adonner à de viles besognes agricoles et forestières afin d’arrondir leurs maigres revenus. Didier de Mandres devait même, en plus, entretenir une nombreuse famille... Nous étions entendues en confession par le père prieur de Deuilly, qui, deux fois le mois, nous rendait visite et en profitait pour conférer avec mère abbesse. Il nous rappelait régulièrement les exigences du pénitentiel de notre Père Benoît, catalogue détaillé des peines qui sanctionnaient les manquements à la règle, à l’humilité, à la discrétion, au respect des autres et à l’obéissance. Une fois l’an, généralement début juillet, mère abbesse, accompagnée d’une soeur et du mayeur Saint-Bathaire, se rendait à l’abbaye de Faverney afin d’y vénérer les ornements sacerdotaux insignes de Bertarius mort en odeur de sainteté le 6 juillet 766. Signalons aussi que chaque 15 janvier nous fêtions saint Maur, le patron de notre église abbatiale, lors d’une messe où un grand concours de fidèles accourait des paroisses voisines. Ceux-ci vouent à saint Maur un culte populaire singulier, lui attribuant des pouvoirs thaumaturgiques.
Vers 1080, le comte Frédéric, sur sa demande, se vit rétrocéder la vouerie de l’abbaye. Ce fut là une grossière erreur de notre évêque de Toul. Malgré les vives protestations portées par notre mayeur auprès de Monseigneur, celui-ci ne daigna pas examiner notre requête. Les sergents du comte vinrent faire l’inventaire des droits et redevances que nous percevions et soumirent mère abbesse à maintes tracasseries. Ce qui provoqua sa fin terrestre et l’envoya ad patres. Mère Liutgarde nous quitta en août 1082 à la suite d’un été caniculaire...
Cette fois-ci l’élection de l’abbesse se passa sans trop de difficulté : notre petite communauté réunie sous la présidence de la soeur cellérière de Remiremont m’élut à l’unanimité malgré l’amicale pression exercée par le comte Frédéric qui souhaitait voir élue sa nièce, la jeune Alix de Fontenoy âgée de 12 ans... La crosse abbatiale me fut remise solennellement par Gautier, prieur de Notre-Dame de Relanges. Et ce fut le début de la décadence. Mon élection eut l’heur de déplaire au comte Frédéric qui, prétextant du peu de vocations dans notre communauté, détourna une grande partie des redevances et taxes que nous percevions sur nos sujets et nos églises. Et qui étaient déjà fort modestes... Abandonnée par Monseigneur de Toul, ignorée des autres communautés religieuses voisines, pressurée par notre soi-disant protecteur, notre petite communauté de cinq soeurs tint bon jusqu’au jour où, sans moyens de subsistance, nous dûmes rendre les clefs de l’abbaye. A la vue de cette situation déplorable, Henri de Lorraine, évêque de Toul, cita à son tribunal le comte Frédéric en lui reprochant ses exactions et obtint qu’il déposent sur l’autel de Saint-Mansuy ses lettres de provision de la vouerie de Bleurville... Mais nous ne rentrâmes pas pour autant dans nos droits et c’en fut terminé de l’abbaye bénédictine. Le 22 juin 1128, Monseigneur de Toul avec l’approbation de notre Saint Père le Pape Honorius II transféra les biens du monastère des saints Bathaire et Attalein à l’abbaye Saint-Mansuy de Toul et transforma l’abbaye en simple prieuré. Mes quatre soeurs dans la foi, Richarde, Berthe, Adeline et Glossinde, gagnèrent chacune une autre maison bénédictine lotharingienne. Quant à moi, j’attendis l’arrivée du trésorier de l’abbaye de Saint-Mansuy pour lui remettre les clefs et les archives du monastère. A la fin de l’été 1128 - qui fut particulièrement calamiteux cette année-là -, après avoir salué nos fidèles paysans lors d’une messe d’adieu - un bon nombre venait d’ailleurs d’être affranchi par mes soins -, accompagnée de l’abbé Guillaume de Vicherey, notre curé, je rejoignis l’abbaye de Bouxières où je finirai mes jours. (Signé :) Herrarde, troisième et dernière abbesse de Bleurville. »
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Tous nos remerciements à A. B. pour nous avoir autorisé à publier son article qui paraîtra dans un prochain numéro de La Revue Lorraine Populaire.
A NOTER SUR VOS AGENDAS...
L'association des Amis de Saint-Maur célèbrera durant tout l'été 2008 dans le cadre de l'ancienne abbatiale cet anniversaire en présentant notamment l'historique de la présence des moniales bénédictines à Bleurville ainsi que la reconstitution d'une scène avec des personnages en habits d'époque.
Alors, à bientôt à Saint-Maur de Bleurville !