Nous n’avons pas eu connaissance du décès de Jean Robinet, survenu en mai dernier. Il est parti discrètement, comme il avait vécu durant sa longue vie de labeur et d’écriture. Histoire & Patrimoine Bleurvillois lui rend hommage en cette fin d’été, saison que notre paysan écrivain appréciait entre toutes.
Jean Robinet est disparu le 13 mai 2010 à l'âge de 97 ans dans son village de Saint-Broin-le-Bois (Haute-Marne), posé sur le plateau de Langres. Pendant une trentaine d'années, Jean Robinet avait signé ses chroniques hebdomadaires dans Le Bien Public, quotidien de Dijon. Leur titre était déjà tout un programme : Paysanneries.
Ce paysan qui n'avait fréquenté que l'école communale avait décroché le prix Sully – Olivier-de-Serres en 1945, à son retour de captivité, pour son premier roman intitulé Compagnons de labours, écrit en captivité sur du papier d'emballage ! Plus de trente autres ouvrages suivront.
Président fondateur des écrivains paysans en 1972, il avait reçu le prix de la Paulée de Meursault en 1957. Dans l'une des interviews qu'il avait accordées au Bien Public, il expliquait en 1990 : « Depuis toujours, les paysans ont été floués, mais toutes les jacqueries ont été inutiles. »
Le musée d'Art et d'Histoire de Langres lui avait consacré une exposition en 1999, intitulée La plume et la charrue. Jusqu'au bout, il devait défendre ses convictions et son attachement à la terre. C'est ainsi qu'il signait il y a deux ans encore, ses dernières chroniques, intitulées « Rustiques », dans Le Journal de La Haute-Marne et « Le Terroir » au Républicain lorrain.
Jean Robinet était très populaire en Lorraine. Plusieurs de ses œuvres ont été illustrées par Jean Morette.
Jean Robinet publie ses premiers textes dans La Haute-Marne Libérée, à la fin des années 50, avant que Victor Demange, le fondateur du Républicain Lorrain, ne lui ouvre les colonnes de son journal. Il honorera, durant près d’un demi-siècle, ce rendez-vous hebdomadaire avec ses lecteurs lorrains. « Je n’ai jamais manqué une chronique ! », confiait-il fièrement à un journaliste du quotidien de Metz, à l’heure de poser la plume, abandonné par ses forces, en janvier 2010. Durant toutes ces années, il fera partager son amour du terroir, devenant le chantre de la ruralité et des valeurs qui lui sont attachées. En témoignent plusieurs milliers de chroniques et une trentaine d’ouvrages si souvent récompensés de cet autodidacte sensible, dont la richesse du vocabulaire et la maîtrise de la syntaxe feraient bien des envieux chez les bacheliers du XXIe siècle.
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« J’ai eu une vie dure, difficile mais j’ai eu une vie heureuse. »
Il y a un peu plus d’un an, déjà très affaibli, Jean Robinet accordait une ultime interview au Journal de la Haute-Marne, quelques jours avant la présentation d’une nouvelle version de “La plume et la charrue”, exposition-hommage à son œuvre, présentée en avril 2009 à la médiathèque de Nogent-en-Bassigny. Il parlait de sa vieillesse choyée, il parlait de son émotion vis-à-vis de ses sept enfants qui ne se trouvaient jamais très loin de lui. Le père est aujourd’hui parti. Jean Robinet est décédé à son domicile à l’âge de 97 ans, dans sa petite maison de Saint-Broingt-le-Bois qui a abrité durant de très nombreuses années les longs silences nécessaires à son écriture. Rien ne prédestinait ce fils de petits paysans de Haute-Saône à prendre un jour la plume, lui qui souffrait d’une véritable « famine intellectuelle » du fait de ne pas être allé assez longtemps à l’école. A l’âge de 12 ans, le voilà parti aux champs, creusant, dans les pas de son père, son tout premier sillon. Nous sommes en 1925. C’est en 1938 qu’il épouse Gabrielle Collinot, issue d’une famille de modestes cultivateurs de Viévigne, en Côte-d’Or. Puis, c’est la guerre, la mobilisation générale et quelques mois plus tard la captivité pour Jean Robinet, prisonnier en Silésie.
Une bibliographie très nourrie
C’est là, où pour s’évader, il prend la plume et fonde avec quelques camarades, dont René de Obadia qui deviendra académicien, un cercle littéraire clandestin qu’ils baptiseront “L’autre silence”. Jean Robinet écrit des poèmes mais couche surtout sur du papier d’emballage ce qui deviendra son tout premier ouvrage : “Compagnons de labour”. A la Libération, il découvre que son manuscrit a reçu un prix du ministère de l’Agriculture et que Flammarion souhaite l’éditer. Mais ce qu’il ne savait pas encore, c’est que “Compagnons de labour” serait le premier ouvrage d’une œuvre littéraire très nourrie qu’il a généreusement alimentée tant que ses forces le lui ont permis. Jean Robinet aura écrit pas moins de 36 ouvrages, quelques romans dont il était le plus fier comme “Le grain sous la meule”, qu’il disait volontiers « engagé ». Mais Jean Robinet, c’était aussi pour une présence hebdomadaire dans Le Journal de la Haute-Marne d’une fidélité sans faille. Pendant près de 60 ans, l’écrivain-paysan, le plus connu en France, a fait partager ses émotions dans sa chronique intitulée “Rustiques”. Pas natif de Haute-Marne, il était néanmoins tombé amoureux de cette terre dès son arrivée en 1949, où il loue pour la première fois une petite ferme abandonnée à Saint-Broingt-le-Bois.
« Terre haut-marnaise, parcelle du beau pays de France, où qu’on te voie l’on ne peut que t’aimer et, si l’on sait te comprendre, on sent que même aujourd’hui tu vis intensément. » Voilà ce qu’écrivait Jean Robinet dans La Haute-Marne libérée du 7 janvier 1950. Son décès laisse le monde paysan orphelin et celui des lettres en deuil. « Heureux celui qui, à l’heure de sa mort, se retournant, peut se dire que toute sa vie a été un chemin de cœur. »
La bibliographie
C’est à Saint-Broingt-le-Bois, entre Longeau et Champlitte, entre Haute-Marne et Haute-Saône, que Jean Robinet a exercé toute sa vie ce qu’il considérait être son vrai métier, paysan. Nul doute que ses livres ont donné des lettres de noblesse au travail de la terre et à la proximité des animaux. Des livres dont certains sont introuvables, dont les éditeurs ont disparu. D’autres, les fondateurs (“L’autodidacte”), les emblématiques (“La Rente Gabrielle”) ont été réédités.
Voilà, pour les amateurs, quelques références des ouvrages majeurs de Jean Robinet :
Editions Dominique Guéniot : “La Vingeanne pas à pas” ; “Quand Jean Robinet nous conte” ; “Les maîtres du Saule”.
Editions Flammarion : “Compagnons de labour” ; “Les grains sous la meule” ; “Les paysans parlent”.
Editions Le Pythagore : “Le vin du Tsar” ; “La maldonne” ; “Mont-Cierge” ; “La Rente Gabrielle” ; “L’autodidacte” ; “Les mémoires d’une belle encornée” ; “Le sang dépassé” ; “D’une autre semence”.
[sources : Le Bien Public, Le Journal de la Haute-Marne, Le Républicain lorrain]