L’abbaye Saint-Maur de Bleurville s’est muée en tribunal l’espace d’une conférence. Et Marie-Françoise Michel s’est transformée en chroniqueuse judiciaire pour faire toute la lumière sur l’affaire « Martin-Buzenet ». Devant un parterre d'amateurs d'histoire locale avide de connaître enfin la vérité.
La légende s’était emparée de cette affaire criminelle au point qu’on avait attribué à François Buzenet une vingtaine de crimes les plus sordides. Grâce à la perspicacité de notre historienne, les bleurvillois n’ont plus rien à craindre du sobriquet de « Buzenet » qui les désignait depuis la fin du XVIIIe siècle. Les minutes des procès de François Buzenet et de François Martin, retrouvés à la Bibliothèque nationale et aux Archives nationales à Paris, ont permis de reconstituer dans le détail tout le déroulement de ces affaires judicaires.
François Martin, tonnelier de 27 ans natif de Nonville et installé à Bleurville, fut accusé à tort d’avoir tué le 20 janvier 1766 Mathieu Moignot, de Choiseul, et de l’avoir dépouillé de quelques écus venant de la vente d’un cheval. Martin fut condamné sur un indice bien mince : l’empreinte de ses souliers dans la neige… Et, pour son malheur, sa victime avait cru le reconnaître et avait pu parler durant sa longue agonie de 27 jours. Mais Moignot, affaibli par ses blessures, avait fait une grave confusion : Martin et Buzenet présentaient en effet des traits physiques assez proches (grande taille, cheveux noirs). Martin fut donc exécuté sur la place publique.
Mais deux ans plus tard, un autre meurtre répandait l’effroi dans le village : le 19 mai 1768, Joseph Mougin, de Godoncourt, était retrouvé mort à demi enterré sur le chemin entre Bleurville et Monthureux-sur-Saône. Grâce aux renseignements fournis par la famille de Buzenet et l’intervention de l’abbé Ricard, curé de Bleurville, les soupçons se portèrent sur François Buzenet, garçon chapelier âgé de 22 ans, qui s’était enfuit. Intercepté à Roanne, il fut ramené à Lamarche pour y être jugé. Outre l’assassinat de Mougin, il avoua plusieurs méfaits : la tentative de meurtre sur Pierre Tisserand, de Darney, sur le chemin du Haut-de-Salin, le vol d’une montre à Bains-les-Bains et le vol d’un pistolet à Monthureux. Avant son exécution, Buzenet révéla dans son « testament de mort » avoir tué Joseph Mougin, innocentant du même coup le pauvre Martin. La veuve Martin, née Anne Viard, demanda la révision du procès auprès du chancelier Maupeou, ministre de Louis XV. Celle-ci ne vint jamais. De son côté, Voltaire informé de ces affaires par un avocat de Neufchâteau, ne semble pas avoir mis tout son poids de philosophe en vue afin d’obtenir la réhabilitation de François Martin ; d’autres affaires impliquant des personnalités d’importance l’accaparaient alors.
Après la complainte du XIXe siècle qui comparait Buzenet à Cartouche et Mandrin, après le scénario romancé de « La lune écarlate », les travaux de Marie-Françoise Michel ont le grand mérite de faire toute la vérité sur ce mauvais garçon « libertin, joueur, buveur et carillonneur » qui a marqué l’histoire de Bleurville. Elle aura permis aussi de contribuer un peu à réhabiliter la mémoire du malheureux François Martin.
[clichés Association des Amis de Saint-Maur et Vosges Matin]