Dans le langage courant, la « méthode Coué » est plutôt discréditée. Son découvreur, Émile Coué, pharmacien à Nancy (1857-1926), n'a plus en France la reconnaissance qu'il avait reçue à son heure de gloire lorsque 15.000 à 25.000 patients défilaient chaque année dans la capitale lorraine pour ses séances collectives.
Pourtant en Allemagne, en Suisse, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et jusqu'aux confins de l'Europe, sa réputation n'est plus à faire, souligne Hervé Guillemain qui consacre à l'homme et à sa pratique d'autosuggestion consciente un ouvrage passionnant. En 1981, rappelle-t-il, le cinéaste Emir Kusturica a même pris comme héros de son premier long-métrage, « Te souviens-tu de Dolly Bell ? », un jeune praticien de la méthode Coué. Maître de conférences en histoire à l'université du Maine, il s'en explique.
- Émile Coué était-il un vrai novateur ?
- Oui et non. Il n'est pas le seul à son époque à présenter ce type de pratique de guérison populaire. Coué est l'héritier de plusieurs courants thérapeutiques, tels que l'hypnose ou le magnétisme. Là où il apporte la touche qui fait son succès, c'est le discours de la méthode. C'est sa valeur ajoutée.
- Pourquoi la France a-t-elle résisté à la diffusion de la méthode alors que même l'URSS de Staline s'y est intéressée ?
- En France, la méthode a continué à se répandre un peu après la mort de Coué, à travers quelques médecins, quelques disciples, avant qu'elle ne devienne le comble du ridicule. Il faut dire qu'elle avait commencé à être reconnue après être passée par l'étranger, ce qui fait qu'elle était arrivée avec une représentation à la fois américaine et protestante, ce qui avait suscité la méfiance de certains milieux catholiques mais aussi des milieux laïcs. L'autre raison du relatif écho français du « couéisme » tient au fait que le Nancéien n'a véritablement diffusé sa méthode qu'entre 1921, date de la réédition de son texte (sa première brochure de 1913 n'a pas obtenu un grand succès) et 1926, date de sa mort. Un moment très court pendant lequel Émile Coué, déjà âgé, s'est surtout préoccupé de l'expansion internationale de sa bonne parole. Il s'est beaucoup amusé à entreprendre des voyages : trois séjours à Londres en l'espace de deux années, deux aux États-Unis la même année. Il est aussi allé en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie puis en Allemagne. La méthode Coué a également souffert en France du regard des neurologues qui ont pris position contre et d'une accusation de pratique sectaire.
- À l'inverse, l'Amérique fait un triomphe à Émile Coué...
- Quand il débarque en 1923 à New York, il n'est pas un inconnu pour les Américains. Certains ont fait le pèlerinage de Nancy et ont témoigné. Le New York Times consacre en quelques semaines plus d'une trentaine d'articles à la méthode. Et des publicités fleurissent qui vantent « le livre dont tout le monde parle ». Coué donne plus de 80 conférences à Broadway, à Philadelphie, à Washington, à Cleveland. Des documentaires sont tournés. Victor Fleming, le futur réalisateur d'« Autant en emporte le vent » consacre un mélodrame muet au sujet. Des caricatures paraissent mais c'est la fascination qui l'emporte. Lorsqu'Émile Coué meurt, le New York Times l'annonce en « Une » et le journaliste salue une méthode, due à un self-made-man, parfaitement adaptée à l'esprit américain.
- La Libération jette l'opprobre sur la pratique couéiste en France, assimilée par Aragon à la collaboration. Pourquoi ?
- Le dernier représentant public officiel de la méthode a été l'un des plus grands collaborateurs français, Alphonse de Châteaubriant. Mais il y a d'autres raisons au fait qu'on parle mal après guerre de la pratique. Elle ne dispose plus de réseaux, et la psychanalyse commence à avoir une audience en France. Par contre, tout ce qui est pensée positive, qui est directement liée à la méthode Coué, se développe énormément aux États-Unis.
- Aujourd'hui, la méthode Coué est disponible gratuitement sur certains sites internet de développement personnel. D'où vient ce regain d'intérêt ?
- La pratique d'Emile Coué a été redécouverte dans le sillage de la sophrologie, de la relaxation. Il existe toute une nébuleuse de praticiens qui s'en réclament. Le grand boom de la « réhabilitation » de Coué, c'est ce qu'on appelle la PNL, la programmation neuro-linguistique, le coaching, qui ne sont rien d'autre, en termes modernes, que la méthode Coué !
>> « La méthode Coué, histoire d'une pratique de guérison au XXe siècle », Hervé Guillemain, éditions du Seuil, 390 p. (21 €).