« On peut le dire Français, Alsacien d’origine, Lorrain d’adoption et universel par son talent ». Ces mots sont signés de l’ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, devenu en quelques années « un grand ami » de Paul Flickinger.
Le sculpteur installé à Marly, et dont les œuvres sont aujourd’hui présentes dans une vingtaine de pays européens, n’est sans doute pas étranger au « réchauffement » des relations franco-russes, et sa proximité avec certains piliers de la Nomenklatura lui ont sans doute ouvert des (grandes) portes.
À l’invitation de l’un de ces personnages, Zourab Tsereteli, artiste « officiel », Paul Flickinger a passé une dizaine de jours à Moscou, puis à Tambov.
Dans la capitale russe, ses toiles sont exposées à l’Académie russe des Arts, sur 400 m², sous le titre « Émotions non contrôlées, condensé de ans de création ». « Au côté d’un Picasso et d’autres œuvres de renom ». Un « formidable honneur » dans un pays qui « s’ouvre doucement mais sûrement à l’art contemporain », et grâce aux moyens des nouveaux nababs russes.
À Tambov (350 000 habitants) en Russie centrale, dans un tout autre décor, au milieu de barres en construction, c’est une tout autre sculpture « symbolisant l’amitié franco-russe » qui a été inaugurée récemment, en sa présence et celles de représentants du Conseil général de Moselle. Voilà la version officielle. Car ce qui peut apparaître aux yeux des « locaux » comme un rapprochement entre deux êtres (un Français et un Russe) peut s’interpréter autrement, assure Paul Flickinger.
« Ce monument dédié aux Malgré-Nous peut aussi bien représenter un Français et un Allemand, on peut le prendre de différentes façons ». Fondue chez Huguenin à Vézelise, la sculpture a effectué un véritable parcours du combattant de quinze jours (avec blocage en Pologne pour des papiers) avant d’être scellée à Tambov. « En vingt jours, tout a été parfaitement préparé par les Russes pour l’accueillir, elle trône dans ce qu’ils appellent le ‘quartier français’».
Si l’accueil a été chaleureux, il a fallu, reconnaît-il à demi-mot, adapter le discours officiel. Pas question d’utiliser le terme « revanche ». De trop s’étendre sur le camp d’extermination de Rada-Tambov, de triste mémoire. Et même si des tour-bus alsaciens font le déplacement sur les traces d’un père, d’un frère, enrôlé de force par les nazis à partir du 25 août 1942, « les Russes culpabilisent un peu » et préfèrent regarder devant que derrière. « Ils sont pragmatiques », note Paul Flickinger, lui aussi fils de Malgré-Nous, qui aurait même tendance à leur donner raison, « bien sûr, il ne faut rien gommer de sa mémoire, mais il ne faut pas rester focalisé sur le passé même douloureux, il faut avancer. Tous ensemble. »
L’homme « nouveau » de Paul Flickinger – qui sourit lorsqu’on lui dit qu’il devient lui aussi « un artiste officiel lorrain » – est avant tout « un homme en devenir ». Comme l’intitulé de ses œuvres exposées au château de Lunéville. Et même à soixante-dix printemps.
[Vosges Matin]