En cette fin de XVIIIe siècle, les Lumières à la française magnifient l’idée de régénération. En s’en emparant, l’utopie révolutionnaire a voulu rejeter les valeurs anachroniques du passé. Or cette aspiration à l’invention d’un homme nouveau tourné vers la Raison trouve une de ses premières formulations dans le fameux Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs de l’abbé Henri Grégoire, rédigé à l’occasion du concours de l’Académie de Metz, en 1787.
Le catholique lorrain Grégoire, favorable à l’émancipation des Juifs, soutient que celle-ci doit passer par l’oubli des rêveries talmudiques et des traditions qu’il juge burlesques. Au même moment, rien de tel n’est exigé des protestants par les philosophes qui défendent leur pleine entrée dans la cité, ni des Noirs des colonies pour lesquels ils réclament la fin de l’esclavage.
Ce concours marque donc un moment unique dans l’histoire de la France moderne. Pourtant, à l’exception du texte publié de l’abbé Grégoire, sans cesse lu et commenté, on ignorait presque tout des manuscrits déposés par les autres candidats (dont d'autres Lorrains comme l'avocat protestant Claude-Antoine Thiéry ou dom Chais, bénédictin de Saint-Avold), et même de la première version de celui de Grégoire. Pierre Birnbaum a eu l’idée de les rechercher aux archives de Metz et de Nancy. Les voici enfin publiés dans leur intégralité.
Leur mise au jour et leur comparaison systématique dans cet ouvrage opèrent tel un révélateur : la question de l’entrée dans l’espace public des Juifs apparaît comme le symbole d’une difficile relation entre citoyenneté et pluralisme culturel, qui hante jusqu’à nos jours la société française.
Instructif.
‡ "Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux ?". Le concours de l'Académie de Metz (1787), Pierre Birnbaum, éditions du Seuil, 2017, 643 p. (28 €).