Les Lorrains savent que Henri Grégoire, né à Vého en 1750, devint curé d'Emberménil en 1782 puis député et évêque de l'Eglise constitutionnelle. Nous souvenons nous aussi qu'il est entré au Panthéon en 1989, lors du bicentenaire de la Révolution française, sans faire l'unanimité notamment d'une partie de l'Eglise catholique mais aussi de nombreux intellectuels pour lesquels le combat de l'abbé Grégoire en faveur de l'émancipation des juifs était entaché des préjugés antisémites propres à son époque.
Depuis près de deux siècles, en effet, la mémoire de cet évêque qui approuva la Constitution civile du clergé, ne s'opposa pas à la condamnation à mort du roi Louis XVI et poursuivit sous l'Empire une carrière politique, est aussi louée que décriée. Ses thuriféraires mettent en avant son combat pour l'abolition de l'esclavage et ses détracteurs rappellent sa volonté d'éradiquer les langues régionales...
Alors, Grégoire, apôtre radical de la Révolution ou défenseur des minorités opprimées ?
C'est le mérite de cet ouvrage que de rappeler, au fil d'un portrait intellectuel nuancé, la complexité d'une pensée qui fut d'abord théologique, et de l'inscrire à la fois dans une généalogie spirituelle et dans les enjeux philosophiques de son temps : l'abbé Grégoire fut d'abord un catholique fervent, dont la vision millénariste a fait de la Révolution l'étape nécessaire au règne de Dieu sur la terre. De quoi expliquer bien des contradictions apparentes, et bien des prises de position qui peuvent apparaître aujourd'hui comme marquées du sceau de l'anachronisme ou des préjugés.
Caroline Chopelin est professeur agrégée spécialiste de l'histoire religieuse du XVIIIe siècle, et Paul Chopelin est maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Lyon-3, spécialiste de l'histoire politique et religieuse des XVIIIe-XIXe siècles.
‡ L'obscurantisme et les Lumières. Itinéraire de l'abbé Grégoire, évêque révolutionnaire, Caroline et Paul Chopelin, éditions Vendémiaire, 2013, 281 p. (20 €).