L’association nationale A.R.B.R.E.S. recense tous les arbres remarquables de France afin de les protéger et de les valoriser. Le Chêne des Saints de Bleurville a attiré récemment l’attention de ces amis des arbres.
Le promeneur qui s’aventure à l’extérieur du village en direction du Cras, en suivant l’ancienne voie romaine menant à Darney, sera surpris de rencontrer un vénérable chêne planté au bord du chemin. Il s'agit d'un arbre "historique" qui a marqué la vie du village depuis au moins 400 ans.
Planté probablement à la fin du XVIe siècle ou au tout début du XVIIe siècle, notre chêne a pris la suite d'autres qui ont matérialisé au cours des siècles le lieu où furent déposées les restes des deux martyrs locaux ramenés de la Comté toute proche.
En effet, au cours du Xe siècle, un noble clerc de Bleurville procéda à la translation des reliques des martyrs Bathaire et Attalein, assassinés sur les terres de l’abbaye de Faverney (Haute-Saône actuelle) en 766. De la chapelle de Menoux - à proximité de Faverney -, le prêtre Mérannus rapporta les reliques à Bleurville et les déposa dans une chapelle provisoire située à l'emplacement même du Chêne des Saints, au lieu-dit "la corvée de Marinvelle". Les reliques seront ensuite déposées et vénérées dans l'église primitive qu'il fera construire au centre du village : cette église correspond probablement à l'actuelle crypte de l'ancienne abbatiale Saint-Maur.
Chaque année, le 6 juillet, jour anniversaire de la mort des martyrs francs-comtois, une procession conduisait les habitants jusqu'à l'arbre sacré où étaient déposées les statues de Bathaire et Attalein. Par ailleurs, chaque 15 janvier, nos deux martyrs étaient honorés en même temps que saint Maur en l'église du monastère bénédictin. A la Révolution, les reliques seront déposées à l'église paroissiale Saint-Pierre-aux-Liens.
En 1869, le curé de la paroisse, l'abbé Augustin Aubertin, envisagea la construction d'une chapelle néo-gothique à côté du Chêne des Saints afin d'entretenir la piété des fidèles. Mais la guerre de 1870-1871 fit capoter le projet.
Même s'il a subi les assauts du temps et des hommes, le Chêne des Saints est parvenu jusqu'à nous en relative bonne santé : chaque printemps le voit heureusement reverdir pour le plus grand bonheur de ses admirateurs ! Remarquons que le tronc présente une exceptionnelle circonférence de plus de 7 mètres. Et notre chêne, s'il pouvait parler, pourrait en raconter des histoires, car il en a vu au cours de sa longue vie : les aléas climatiques, les bandes de soudards venus anéantir la Lorraine au cours de la guerre de Trente Ans, les enfants s'amusant dans ses branches, les bûcherons venus l'élaguer, des ennuis de santé aussi, des charrois tirés par des boeufs et des chevaux puis des monstres modernes soufflant et crachant des fumées nocives, des cultivateurs affairés dans leurs champs, des hommes et des femmes se reposant à l'ombre de sa splendide ramure, des paroissiens processionnant puis s'éloignant du lieu sacré, des maisons bâties alentour... A proximité, une croix fut édifiée au début du XIXe siècle, conférant à l'endroit un caractère sacré.
Le Chêne des Saints est désormais classé "Arbre remarquable". L'association A.R.B.R.E.S. a décidé de le répertorier dans son grand livre des arbres de France qu'il faut voir... et protéger.
[clichés H&PB]