Ils ne sont pas légion, et la sensation qu’ils procurent est somme toute assez rare. Le dernier Pelot est de ces bouquins-là. Vous y entrez en vous essuyant les pieds, parce que vous êtes bien élevé. Vous vous y baladez, vaguement désorienté d’abord, dans des allées bizarres, des paysages humides, des pages baroques, farcies jusqu’à la gueule de silhouettes bancales, du gentil benêt au carrément halluciné, Et au moment précis où la question vous taraude de savoir ce que vous faîtes là, où veut vous emmener le vieux pirate qui a commis la chose, le piège se referme. Vous voilà bouclé sur votre siège, une drôle de salive dans la bouche, embarqué pour un final tout en sueur et en étincelles. Un manège de dingues dont vous descendez désarticulé, les jambes et les neurones en coton. Pierre Pelot excelle dans ce genre d’exercice, L’Ange étrange et Marie-Mc Do, sa dernière bluette en date, en est un parfait exemple.
Le coin d’abord. « Un paysage taillé dans le gris et les couleurs froides, au couteau et à grands coups de brosse d’estompe, un ciel effondré jusqu’à mi-pente des montagnes sombres. » L’Office du Tourisme local doit bicher.
Viennent ensuite les protagonistes. De drôles de gaillards et d’aimables gueuses. Manuel Emmanuel et sa cohorte de sectaires allumés d’abord, puis les membres de la famille Gravier, bel exemple de fin de race patronale, rayon textile. Monsieur est défunt, reste (dans le désordre) Maman Marie-Jo, chancelante sur ses « chevilles violacées et cylindriques, cernées de bourrelets », notre héroïne Marie, dite MacDo, qui a longtemps fait du bonheur aux hommes dans les bosquets du coin, et du coup se retrouve promue au rang de réincarnation de sainte Marie-Madeleine – d’où le zèle de ses adorateurs déjà cités. Et surtout Babar, l’aîné obèse et surdoué, qui bricole Madame Wells dans la chapelle du château. Entendez qu’il s’escrime à mettre au point, à partir d’une dameuse mécanique, une machine à remonter le temps, avec « carapace couverte de mille dards, pointes et protubérances de toutes sortes ». Ce dans un foutoir mécanique indescriptible, sinon par l’auteur.
Ajoutez à tout cela un ange étrange bien sûr, mais aussi des rumeurs, des remords, des haines et de terribles secrets d’enfance. Des friches noires, des flots de vengeance rouge sang. Pelot puise dans ses Vosges natales des histoires sauvages, des contes de la folie extraordinaire. Il y met toute la science d’une écriture arrivée à pleine maturité, aussi efficace dans les ralentis cinématographiques que dans les moments effrénés. Le lecteur, pour le coup téméraire, sort de là pantelant, méchamment secoué.
Michel GENSON
[Le Républicain lorrain | 07.02.10]
>> L’Ange étrange et Marie-McDo, Pierre Pelot, éditions Fayard, 334 p. (19,90)