Au Struthof, le gardien Franz Ehrmanntraut frappait les détenus au nerf de boeuf jusqu'à ce que mort s'en suive ; Albert Fuchs, responsable du commando "Ravin de la mort", les abattait selon son humeur ; Richard Kuhl, délinquant de droit commun, devint l'un des pires kapos du camp. A Schirmeck, Karl Nussberger, responsable des pelotons d'exécution, s'enthousiasmait pour les flagellations publiques ; Walter Müller, dit Hundemüller, lâchait son chien sur les détenus qui lui déplaisaient...
Parmi les centaines de bourreaux "ordinaires" affectés au camp de concentration de Natzweiler-Struthof et au camp de sûreté de Vorbrück-Schirmeck, créés par les nazis en Alsace annexée, plusieurs dizaines d'entre eux furent déférés après la guerre devant les tribunaux. A l'effarement du public et de la presse, tout un cortège de crimes et d'horreurs fut ainsi révélé : brimades et violences de toutes sortes, tortures et exécutions sommaires, sous-alimentation et travail forcé jusqu'à épuisement fatal. Sans oublier les effroyables expérimentations menées sur des détenus par une poignée de "médecins de la mort". Devant leurs juges, ces personnages sadiques et cruels n'exprimèrent aucun remords et plaidèrent l'irresponsabilité.
Ces procès de l'après-guerre, méticuleusement restitués dans cet ouvrage, plongent le lecteur dans l'horreur de l'idéologie nationale-socialiste - qui eut son pendant dans le totalitarisme communiste, ne l'oublions pas - et nous confrontent aux difficultés à "faire justice" : moins de dix ans après leurs méfaits, la plupart de ces bourreaux, condamnés pour certains à la peine capitale ou aux travaux forcés à perpétuité, avaient déjà retrouvé la liberté... Frustrations et sentiment d'injustice s'installèrent dans l'opinion régionale. Grâce aux archives, le temps de l'Histoire est aujourd'hui venu.
‡ Profession bourreau. Struthof-Schirmeck, les gardiens face à leurs juges, Jean-Laurent Vonau, éditions La Nuée Bleue, 287 p., ill. (22 €).