Le Vosgien Nicolas Mathieu, lauréat du Prix Goncourt 2018, raconte son adolescence et celle de ses amis dans Leurs enfants après eux, qui dit avec tendresse et justesse une France du malheur industriel lorrain et du déclassement.
Leurs enfants après eux est un roman des marges, un roman périphérique qui, loin de Paris, loin des salons et des ors mondains, raconte une France des confins, de l’est, une France de l’« entre-deux », une France jadis industrielle et désormais en friche, balafrée par les faillites douloureuses et par les guerres dont on célèbre le souvenir.
Mais le déclassement n’empêche pas la fureur de vivre. Et pour Anthony, Steph, Hacine et les autres, cette rage est à la mesure de leur adolescence qui brûle en ces années 1990. Tous veulent une vie intense, amoureuse, puissante, violente aussi peut-être: «Ils vont vite sous le soleil, ils sont jeunes, et mourir n’existe pas.»
Vivre. Aimer. Partir. Vivre ailleurs. A tout prix. Tous en rêvent. Nul ne sait vraiment comment y arriver. En quatre tableaux, Nicolas Mathieu fait flamber puis fracasse les espoirs de ces ados des années 1990.
Par une sorte de loi implacable, les enfants de notables ou les rares qui comprennent que les études sont la seule porte de sortie s’en sortiront à peu près. Et encore pas tous. Pour les fils de chômeurs, d’ouvriers, pour les déclassés, pas de salut. A la fin, les ados flamboyants, jadis réunis par leur jeunesse, désormais éparpillés par la vie et les échecs, errent, comme des naufragés, dans Heillange, répliquant malgré eux l’existence de leurs parents. Ils se retrouvent coincés dans « cette vie qui se tricotait presque malgré eux, jour après jour, dans ce trou perdu qu’ils avaient tous voulu quitter, une existence semblable à celle de leurs pères, une malédiction lente ».
Nicolas Mathieu traite ces damnés contemporains avec une tendresse et une attention émouvante. Et c’est sans doute parce qu’il parle de lui, de sa propre adolescence, et qu’il y trouve, malgré la souffrance, malgré les friches désolées, de quoi aimer, de quoi écrire, de quoi raconter, de quoi nourrir son livre. Il parvient à toucher le lecteur, à rendre attachant – et même parfois beau – ce monde naufragé.
‡ Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, éditions Actes Sud, 432 p., 21,80 €.